Lettre à ...
J'aurais voulu te dire tous ces regrets accrochés au bord de l’abîme, pour quelques souvenirs corrompus, comme un phare dans une nuit de brouillard, où je cherchais le chemin pour m’écarter toujours plus loin de ces ruines où j’ai grandi. Parce qu'il y a cette vie antérieure, oubliée, effacée, froide comme le métal, dont je me suis tellement éloigné pour ne pas rester prisonnier entre ses murs adhésifs.
Et maintenant, au moment du crépuscule reviennent ces voix assourdies, ces yeux vides, les tiens, et la violence des lames de fond sur la carcasse de ce scaphandrier battu par les flots en plein naufrage. Parce que je me noyais et je ne voyais plus sur la rive que des visages souriants et indifférents.
J'ai voulu oublier les aversions, les dernières entailles face a ce visage émacié. Mais il est maintenant venu ce temps frénétique où je dois me défenestrer pour qu’enfin arrive ce réveil prématuré que je n'attendais plus. J'ai le corps balloté dans ce vide qui n’en finit pas. Le grand saut au milieu des tourments, ce sacrifice qui n’en est pas vraiment un… le plongeon vers l’anéantissement et cet atterrissage inexorable sur les lames aiguisées depuis toutes ces années. Parce qu'arrive le moment où il faut payer. Rendre des comptes.
Il y des fleurs fanées qui ne seront jamais misérables, même au milieu des pensées vénéneuses, ces racines voraces qui vous attrapent par les chevilles pour vous enfouir toujours plus profond dans ce vide béant où tout se désagrège. On enterre parfois plus profondément encore ceux qui sont vivants. Le manque d'air et cette terre glacée qui obstrue ma gorge.
Un jet de poussière dans le bleu marine de mes yeux pour aveugler ce qu’il reste de cette conscience anesthésiée. Parce que je n’ai plus rien dans les mains qu’une poignée de remords. Cette schizophrénie, comme un tranchoir qui découpe chacun de ces moments inventés, chacune de ces histoires. Il ne doit rien rester. C'était un monde imaginaire, aussi noir que les âmes criminelles, aussi sombre que ces longs couloirs aux portes toujours fermées parce qu'il fallait imposer cette distance. Pas un mot. Pas un son. Juste ce silence pour oublier que les cœurs peuvent battre eux aussi.
Il ne reste que des soupirs quand c’est la fin du voyage. Maintenant il y aura pour toujours cette distance inaccessible qui sépare de ces souvenirs avortés. Tu n’en auras jamais rien su en réalité. Tu ne te souviendras que du sang, de l'éclair de la lame dégoulinante plantée jusqu'à la garde dans ce corps tant aimé comme une ombre inanimée au milieu des décombres. Tu ne te souviendras que de ces mots que tu as dégueulé sur moi pour atteindre ce qui restait peut-être de vivant dans ce cadavre robotisé… et ce crachat envoyé devant des mains tendues comme un dernier message pour me dire : tu es mort.
Oui... je l'ai été bien avant toi. Et dans cet infini on ne se rejoindra pas. Peut-être y aura-t-il les yeux noirs et le son des guitares. Mais pas de place pour les âmes mortes précocement, pour les cœurs froids et pour les mains assassines.
Le voyage s'achève là.
0 Commentaire
Commentaires recommandés
Il n’y a aucun commentaire à afficher.